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samedi 28 avril 2018

Artistes et robots, l'exposition du Grand Palais, jusqu'au 9 juillet 2018

Voilà une expo étonnamment consistante. Non seulement parce que certaines œuvres laissent béats d'admiration, mais aussi et peut-être surtout parce que leur création robotisée pose questions. Des interrogations sur la nature de l'Art, sur ce qu'est une œuvre, un Artiste créateur. En extrapolant les progrès de l'intelligence artificielle, nous humains serons-nous des créateurs si différents des super-robots du futur. La question fait froid dans le dos, sensation que, pour l'instant, nous sommes heureusement les seuls à éprouver !


La première partie de l'expo montre des robots en plein boulot


Une certaine maladresse, un peu de naïveté dans l'intention, et nous voilà d'abord rassurés : ces robots ne sont vraiment pas des artistes, à peine des objets qui s’agitent gauchement. Des guignols auxquels on a, avec pas mal de prétention, collé un pinceau en "main". 

Senseless Drawing Bot, structure métallique deSo Kanno & Takahiro Yamaguchi 

Un skate motorisé actionne un bras muni d'une bombe aérosol. Les pseudos graffiti obtenus prêtent plutôt à sourire. Une œuvre d'art ?


Robot Art, ballet de mini-véhicules traceurs de lignes plus ou moins aléatoires. 

Une des œuvres réalisée. Bien que le dessin soit assez décoratif, doit-on accorder un grand
A à ce Robot Art ? 


Olympe de Gouges, assemblage anthropomorphe de Nam June Paik 


Méta Matic de Jean Tinguely. (1959) 
Un moteur produit des dessins qui se renouvellent selon l'activation du robot par le spectateur. 

Ci-dessous, une vidéo montrant une installation robotisée qui interroge davantage.

Patrick Tesset La grande vanité au corbeau et au renard 
Pourvue d'une main articulée tenant un stylo feutre, l'automate réalise un dessin, celui d'une nature morte qu'il a devant les yeux ! Les yeux ? Un œil au moins, celui d'une caméra qui va et vient en regardant tour à tour l'état du dessin en cours et le modèle. Exactement comme le ferait un portraitiste. Les œuvres achevées ont du style, ou plutôt des styles, des pattes différentes selon la "personnalité" donnée au robot réalisateur par Patrick Tesset dans sa programmation.


D'invisibles algorithmes


Reflexao #2 de Raquel Kogan

La deuxième partie de l'expo ne nous montre plus d’automates en plein travail, seulement des œuvres sorties droit d'algorithmes. Le robot s'est dématérialisé. C'est dire que le mystère de sa création demeure entier. À l'origine des images, des sculptures, des musiques, des milliers de lignes de programme ont été écrites, seulement intelligibles pour les artistes-informaticiens et les ordinateurs dédiés. Ce qui surprend est la qualité des œuvres produites, et les visiteurs de l'expo affichent leur stupéfaction devant tant de beauté. Les mathématiques savent y faire. 

Les impressionnants motifs labyrinthiques de Peter Kogler. 

De tous côtés, les lignes de la gigantesque impression sur Vinyle, une magnifique abstraction géométrique dans laquelle le visiteur évolue. 



Astana Columns , les colonnes doriques de Michael Hansmeyer 

Les colonnes découpées au laser présentent une dentelle en un relief de millions de facettes. L'ensemble forme un temple étrange et fascinant.



Extra-Natural de Peter Chevalier 

Un jardin virtuel superbement coloré, haut de 10 mètres, s'épanouit et prolifère devant le visiteur, suit ses mouvements.
Les fleurs imaginaires peuplent un monde non dépourvu d'une certaine poésie, à la fois naturel et numérique ! 
Les formes naissent des ordinateurs en temps réel. Leur apparente autonomie et leur interactivité semblent autant de pouvoir et d'autorité retirés à l’artiste.


Argo de Jacopo Baboni-Schilingi 
Des compositions musicales algorithmiques sont perturbées par la respiration. 
Ce n'est pas du Beethoven, mais pourrait être pris pour du Xénakis. D'ailleurs une œuvre du précurseur roumain de la composition sur ordinateur (dès les années 50) est diffusée dans un couloir de l'expo. 


Orogénèses de Joan Fontcuberta 
L'artiste conceptuel utilise des logiciels de simulation 3D pour mettre ensuite à plat d'étonnantes images Il a écrit ses programmes pour retrouver les styles de grands peintres tels Cézanne, Derain… On admire alors ce qui semble être d'étranges et belles photographies, à la frontière de la peinture. Alors, comme l'a dit Nicolas Schöffer, " L'artiste ne crée plus une œuvre, il crée la création". 
Les photographes, même amateurs, savent bien déjà combien les logiciels et les filtres numériques permettent de styliser leurs images jusqu'à donner parfois à un cliché quelconque des airs artistiques.


L'apprentissage sophistiqué (Deap learning)

Sayonara de Koji Fukada 

Où on voit et écoute un androïde déclamer Le Bateau Ivre de Rimbaud. Non sans talent !

Certes, l'intelligence artificielle rend les robots de plus en plus futés. Jusqu'à quel point ? Les théories du transhumanisme prétendent faire converger l'homme et la machine. L'humanoïde de plastiques et métaux Orlanoïde, œuvre de l'artiste française Orlan, entre deux interrogations sur le statut du corps, clame sa réponse : "Tu es un auto-portrait qui bouge et qui parle, qui fait semblant d'avoir des émotions, mais tu n'en éprouveras jamais : tu es un objet, une représentation !" 



Le Nouveau-Rembrandt


Voilà une "toile" qui n'est pas exposée au Grand Palais, ni d'ailleurs encore dans aucun musée du monde. Bien que ce soit un Rembrandt, enfin presque : un New-Rembrandt. Celui qu'une équipe de spécialistes du maître hollandais et d'informaticiens de Microsoft ont créé de toutes pièces. La qualité du résultat et l'ouverture qu'il donne vers une "renaissance" possible d'artistes passés posent question.
Une vidéo expliquant la démarche

Que nous réserve l'avenir ?


À quand un robot capable de juger son œuvre ? Se pourrait-il qu'une machine éprouve un jour des émotions ? Des douleurs ? Dans les années 60, l'opinion générale était que les ordinateurs, même gagnant en puissance de façon exponentielle, ne pourront certes jamais vaincre un champion d'échec en chair et en os… Alors… 

Bien sûr, un automate, un humanoïde, ne sera jamais ni en chair, ni en os… À moins que ce ne soit qu'une question de vocabulaire : il suffirait de dire œil au lieu de caméra, ou encore oreille à la place de micro. Et ainsi de suite : remplacer capteur par épiderme, fil électrique par nerf, contact par synapse, actionneur par muscle, couplage par tendon, charnière par articulation, os par longeron, chair par polyuréthane … Le pire serait sans doute de troquer le mot algorithme au profit du mot pensée ! Des termes à adopter pour humaniser nos robots trop mécaniques.


Et question suprême : un robot pourra-t-il un jour être doué de conscience ? 

Le chercheur Selmer Bringsjord (Rensselaer Polytechnic Institute) a mis à l’épreuve trois robots. Chacun était capable de parole, mais deux avaient reçu à leur insu une pilule informatique de mutisme. La question a été posée aux robots de deviner lesquels. Un d'entre eux a d'abord répondu par « I don't know », puis s'entendant parler, il s'est repris et a conclu que ce n'était donc pas lui qui avait avalé la fameuse pilule ! 


Oui, des questions multiples, et de belles œuvres… au Grand Palais jusqu'au 9 juillet 

À signaler l'excellente appli de l'expo, à télécharger sur Google Play ou sur Appstore.